Employeurs et mobilités : interroger le pourquoi avant le comment
LOM, NAO, PDME... Les entreprises privées et publiques n'avaient jamais eu à jongler entre autant de sigles sur le thème des mobilités. Derrière ces sigles, il y a surtout des règles à respecter, et d'autres enjeux encore à prendre en compte.
Quand on parle des actions des employeurs pour optimiser les mobilités, on pense surtout à des mesures visant à en changer les modalités. Il s'agit souvent de passer de moyens de transport coûteux, en termes financiers et écologiques notamment, à des moyens de transport plus économes, plus propres et moins carbonés.
Pourtant, il semble bien qu'il soit plus intéressant de se poser la question du pourquoi des mobilités, de se baser sur l'utilité des mobilités, avant de traiter la question du comment.
Et c'est bien là que le thème des mobilités, et plus précisément le sujet des déplacements domicile - travail des salariés, font intervenir les concepts de télétravail et de proxitravail.
La mobilité des salariés, c'est l'affaire des employeurs
La mobilité des salariés entre leur lieu de résidence habituelle et leur lieu de travail est un thème de préoccupation important. Les enjeux de ces déplacements pendulaires sont multiples :
- Pour les salariés eux-mêmes (coûts, qualité de vie, temps libre, fatigue, stress...) ;
- Pour les employeurs (productivité, accidents du travail, absentéisme, marque employeur, démarches QVCT et RSE...) ;
- Et aussi pour la société (environnement, climat, santé publique...).
En décembre 2019, la loi d'orientation des mobilités (LOM) a renforcé les obligations à ce sujet.
Désormais, les employeurs public ou privés dont 50 salariés au moins sont employés sur un même site doivent inclure le thème de l'amélioration de ces mobilités dans les négociations annuelles obligatoires (NAO).
À défaut d’accord, les mêmes entreprises doivent élaborer un plan de mobilité employeur (PDME) pour chacun des sites de plus de 50 salariés. Le PDME peut être mono-site, multi-sites ou même inter-entreprises.
Zoom sur le PDME, plan de mobilité employeur
Les objectifs du PDME consistent à mettre en œuvre des mesures qui permettent de rationaliser les déplacements de personnes et de marchandises liés à l'activité de l'entreprise :
- Améliorer l'efficacité de ces déplacements ;
- Diminuer les émissions de gaz à effet de serre (GES), et contribuer ainsi à la lutte contre le réchauffement climatique ;
- Réduire les émissions polluantes générées par les transports, et par conséquent préserver la qualité de l'air, la santé publique et la biodiversité ;
- Limiter les encombrements des routes et des autres infrastructures et moyens de transports.
Le PDME vise donc bien à optimiser les déplacements pendulaires des salariés, mais pas seulement.
Il traite aussi des déplacements professionnels (visites à des prospects, clients, fournisseurs ou autres partenaires, participation à des salons ou autres événements, etc.), et même du transport de marchandises.
Pour tous ces flux, le PDME prend en compte les mouvements entrants et sortants. Ainsi, le PDME peut prévoir des actions pour optimiser tant les visites et livraisons reçues sur les sites de l'entreprise que celles réalisées par l'entreprise.
Le comment, ou les modalités des mobilités
Qu'il s'agisse des NAO, concernant les déplacements domicile - travail, ou du PDME, qui élargit le sujet à plusieurs autres types de mobilités, il faut bien reconnaître que la plupart des mesures mises en œuvre par les entreprises relèvent des modalités, de la manière avec laquelle les mobilités s'opèrent ou sont facilitées.
À ce titre, les accords visent par exemple à :
- Encourager les modes de transport alternatifs à la voiture pour les déplacements pendulaires (transports en commun, vélo, marche, etc.) ;
- Développer le covoiturage entre salariés (intra ou inter-entreprises) ;
- Prendre en charge une partie des frais de transport entre le domicile et le lieu de travail ;
- Réduire l'impact environnemental des déplacements professionnels (limiter le recours à l'avion, encourager les trajets en train, développer une flotte de vélos d'entreprise ou de véhicules électriques, etc.) ;
- Adapter la logistique pour optimiser les transports de marchandises...
Mais les actions de ce type sont-elles suffisantes ? Sont-elles les plus efficaces pour atteindre les objectifs ?
Le pourquoi, ou l'utilité des mobilités
Quel est le sens des mobilités à double sens ?
Avant de chercher des moyens alternatifs pour réduire les impacts des mobilités, n'est-il pas plus efficace :
- De supprimer ou ne serait-ce que réduire les mobilités lorsqu'elles ne répondent pas à de réels besoins ?
- Ou encore de bien définir leur utilité afin de mieux identifier de possibles adaptations qui n'induisent aucun désagrément majeur ?
En effet, premièrement, la non-mobilité est incontestablement la mobilité la moins chère, la moins polluante, la moins chronophage, la moins impactante en général.
Toute suppression ou réduction des mobilités inutiles réduit automatiquement en proportion :
- Les encombrements sur les routes et dans les transports ;
- Les pertes de temps ;
- Les émissions de gaz à effet de serre ;
- La pollution ;
- Les coûts directs et indirects liés à ces déplacements...
Et deuxièmement, quand la suppression ou la réduction n'est pas possible, pour des mobilités qui ont vraiment du sens, savoir clairement quel est leur utilité permet de trouver des mesures plus pertinentes en termes de modalités.
Alors, avant de réfléchir sur le comment des mobilités, il semble bon de se poser la question du pourquoi.
Pourquoi ces mobilités ? Quel sens ont-elles ? Quelle est leur utilité ?
En particulier, au sujet des allers-retours domicile - travail, pourquoi les salariés doivent-ils se déplacer sur le site de l'entreprise ? Pour quoi faire ? Pour quelle part du temps de travail ? À quels moments ?
Télétravail et réorganisation spatio-temporelle du travail : pourquoi pas ?
Deux séries de questions pour réduire les mobilités domicile - travail
Collectivement, mais aussi de manière individuelle pour chaque fonction, et pour chaque collaborateur qui occupe cette fonction :
- Quelles sont les activités qui nécessitent une présence sur site ?
- Et quelles sont celles qui peuvent être réalisées en télétravail, sans préjudice ?
Sur la base des réponses à ces questions, l'employeur est en mesure d'aller plus loin dans son étude :
- À quelle fréquence, ou mieux encore, quand les salariés devraient-ils être présents dans l'entreprise ?
- Quels jours de la semaine, ou à quelles périodes du mois par exemple ?
- Et, par opposition, quand ont-ils la possibilité de ne pas faire l'aller-retour entre domicile et bureau ?
- Plus finement encore, sur quelles tranches horaires le travail sur site est-il nécessaire ?
Le télétravail pour réduire les mobilités et le bureau quand c'est utile
Recourir au télétravail pour supprimer des déplacements pendulaires, cela va donc idéalement beaucoup plus loin que de fixer une règle aussi inappropriée que générale, du type "2 ou 3 jours de télétravail par semaine, au choix de chaque salarié".
Pour certaines fonctions, le télétravail, même partiel, est impossible. Des réflexions sur la flexibilité horaire, voire sur la semaine en 4 jours, peuvent alors s'avérer particulièrement intéressantes.
Pour d'autres fonctions, le télétravail n'a théoriquement presque pas de limite. Et pour d'autres encore, il convient d'organiser le travail de telle façon qu'il est possible de dégager des journées entières de télétravail.
En ce qui concerne les personnes occupant ces fonctions télétravaillables, en tout ou partie, il suffit peut-être d'organiser des sessions collectives, quand cela s'avère utile, ou sur un rythme régulier :
- 1 ou 2 jours par semaine ;
- Une session de quelques jours chaque mois ;
- Ou encore sur un rythme trimestriel ou autre...
Ce mode d'organisation du travail hybride s'avère souvent plus pertinent que celui, assez classique, qui consiste à laisser chaque personne choisir ses jours de présence au bureau. Car quel est le sens des déplacements domicile - travail si finalement on n'y retrouve qu'un petit nombre de ses collègues, parce que beaucoup sont en télétravail à ce moment-là ?
Répondre au pourquoi des mobilités aide à optimiser leur comment
Pourquoi et quand est-ce utile que les salariés se déplacent sur le site de l'entreprise ?
Répondre à ces questions, c'est peut-être, a priori, un peu plus complexe que de mettre en place plusieurs mesures simples sur le comment des mobilités.
Mais au final, c'est aussi beaucoup plus efficace, car :
- Cela supprime une part potentiellement significative des déplacements pendulaires ;
- Cela évite de multiplier les mesures sur les modalités de ces mobilités, parfois à l'excès pour couvrir tous les usages ;
- Et enfin, cela facilite la mise en place de telles mesures, de manière pertinente.
Les 3 effets du pourquoi avant le comment
Il est facile de comprendre que poser la question du bien-fondé des trajets domicile - travail permet de supprimer une partie de ces déplacements, ceux qui ne sont pas pertinents. Cela passe principalement, comme nous l'avons vu, par le recours au télétravail.
Grâce à cette réduction du nombre de déplacements, l'entreprise progresse déjà significativement vers les objectifs d'amélioration, d'optimisation et de rationalisation des mobilités. Par conséquent, cela réduit le nombre et l'ampleur des mesures nécessaires portant sur les modalités de déplacements restants.
Enfin, répondre préalablement au pourquoi peut aussi rendre les mesures relatives au comment plus faciles à mettre en œuvre.
Par exemple, s'il apparaît possible d'accorder plus de flexibilité dans les horaires de travail sur site, cela peut encore contribuer à améliorer les mobilités. Car, pour les salariés, aller au travail et en revenir en dehors des périodes de pointe, c'est :
- Sur la route, moins d'embouteillages, parfois aussi plus de facilité de stationnement, du temps gagné, des économies de carburant, une moindre pollution et moins d'émissions de GES ;
- Dans les transports en commun, plus de places disponibles, moins de stress, moins de fatigue et souvent aussi des trajets plus rapides ;
- Peut-être aussi plus de facilité à opter pour les transports en commun (au regard des horaires, correspondances, etc.), ou même pour le vélo (pédaler aux heures de pointe, c'est plus dangereux et parfois irrespirable)...
Le proxitravail, l'alternative au domicile quand aller au bureau est inutile
Mener ce questionnement sur le pourquoi des mobilités domicile - travail, c'est également un moyen d'ouvrir le débat "travail au bureau versus télétravail" d'une autre manière, sans préjugés.
Oui, nous savons bien que le mot télétravail traîne encore de nombreux préjugés. Cela tient surtout au fait que beaucoup réduisent le télétravail à sa forme actuellement la plus courante : le télétravail à domicile, que je préfère d'ailleurs nommer domotravail pour éviter toute confusion.
Aussi, même si l'entreprise pose des limites au domotravail ou si, pour telle ou tel salarié, cette option est impossible ou problématique, avoir identifié des moments où la présence sur site n'est pas utile permet d'imaginer d'autres solutions.
Le proxitravail est une des solutions envisageables.
Cette forme alternative de télétravail, dans des lieux dédiés situés à proximité du domicile des salariés, permet en effet de réduire les mobilités, de remplacer des mobilités longues par des mobilités beaucoup plus courtes.
Les avantages sont même plus importants encore lorsque la réduction de distance permet de remplacer une mobilité carbonée (en particulier la voiture individuelle) par une mobilité douce (vélo ou marche à pied par exemple).
Conclusion... avant la suite
De très nombreuses entreprises, privées et publiques, ont l'obligation de prendre des mesures relatives aux mobilités liées à leur activité. Les autres, de taille plus modeste, non soumises à cette obligation, ont de multiples raisons de s'en préoccuper aussi.
Pour les employeurs, le sujet des déplacements domicile - travail par les salariés porte des enjeux majeurs. Alors, ils doivent aborder cette thématique de façon sincère et méthodique.
Parce que cette préoccupation est encore nouvelle, il est assez compréhensible que la plupart des entreprises répliquent les mêmes mesures génériques touchant principalement aux modalités de déplacements ainsi qu'aux aides attribuées.
Mais de plus en plus d'entreprises atteignent désormais un certain niveau de maturité sur ce sujet. Elles comprennent qu'il ne suffit pas d'agir sur le comment des mobilités. Il faut d'abord reconsidérer l'utilité des déplacements.
Le télétravail permet désormais de supprimer ou de réduire la mobilité pendulaire des salariés entre domicile et bureau.
Mais là encore, il ne faut pas prendre de raccourcis. Il faut considérer le télétravail sous toutes ses formes. Le proxitravail, notamment, apporte une solution alternative ou complémentaire au domotravail.
C'est pourquoi, dans un prochain article, nous comparerons les vertus du domotravail, du proxitravail et d'autres formes de télétravail au regard de la stratégie mobilités des employeurs.